Je souhaitais parler de l'ignoble assassinat de Samuel Paty, mais plutôt que d'exprimer mon ressenti, j'ai préféré donner la parole à Delphine Horvilleur qui est à la fois l’une des rares femmes rabbins de France, une ardente défenseure de la laïcité et une intellectuelle engagée dans le dialogue avec le monde musulman
Parlant du rôle des reseaux sociaux, elle écrit:
"Ce qui m'a le plus troublée, c'est de m'apercevoir que beaucoup pensent qu’on est ce que l'on poste ; c'est de voir que beaucoup ne sont pas capables de faire preuve de deuxième degré à un moment où on devrait tous publier ces caricatures, pas pour dire qu’on est d’accord avec leur message littéral, ni d’ailleurs nécessairement avec leur message caché, mais pour dire à quel point on luttera, et on luttera jusqu’au bout, pour qu’elles aient le droit d’exister sur la place publique, et pour qu’elles continuent de raconter quelque chose de notre société et de notre histoire.
On est une génération offensée, on vit dans un monde dans lequel les gens ne tendent plus l’oreille qu’à l’offense qu’on leur impose, pas à la contradiction. Alors qu’il n’y a rien qui nous fasse plus grandir que d'être contredit, que de penser contre soi. On est dans un monde «où la haine s'étale sans filtre» comme le dit Leïla Slimani ?
Sans aucun doute, les réseaux sociaux ont joué un rôle majeur dans l'appauvrissement de la pensée, en nous invitant continuellement à simplifier nos messages, en ne tolérant plus quoi que ce soit qui serait implicite, en nous permettant de constituer des communautés autour de nous, des gens qui pensent comme nous, qui votent comme nous, qui lisent les mêmes livres, qui ont les mêmes références culturelles... En réalité, on a anéanti, ou on est en phase d’anéantissement, du débat possible entre nos cultures.
L'autre problème, c'est que le jeunes s'informent sur les réseaux sociaux. Ils croient que quand c'est sur une chaîne YouTube c'est vrai. Un point crucial à travailler avec l'école, c'est de les faire se questionner sur leurs sources d'information. À une époque, on disait «d’où tu parles, toi ?» Et en fait, le «d’où tu parles», il est génial, parce que c’est exactement la question qu’il faut poser aux jeunes aujourd’hui : d'où tu parles ? D’où détiens-tu l’information qui te permet de dire ce que tu dis ?….
On a beaucoup entendue dans la jeunesse ces dernières années : «tu me manques de respect». C’est intéressant de réfléchir à ça. Qu’est-ce que c’est que de respecter quelqu’un ? C’est savoir le contredire, le plus souvent. Protéger à tout prix quelqu’un d’une autocritique, c’est, au contraire, lui manquer de respect. C’est considérer qu’il est trop infantile, ou sous-développé, pour être capable de faire face à un questionnement, à une interrogation de ses repères.
Être croyant ou pas croyant? C’est comme s’il fallait choisir entre la science et la religion, c’est absurde. Pour moi, la laïcité et l’attachement à une religion cohabitent parfaitement. Je reconnais à la laïcité la bénédiction de me permettre de vivre la religion telle que je la vis."
Quel beau texte! C'est surement ce que pensait Samuel Paty en montrant les caricatures.
Dans une autre note, je parlerai du livre écrit par Delphine Horvilleur et Rachid Benzine « Des mille et une façons d’être juif ou musulman » . Dan ce monde de déraison et de violence , des dialogues comme celui ci font tellement de bien!