Dans « Sauve toi, la vie t’appelle », certaines phrases m’ont particulièrement frappée: « Un lycéen est à l’âge d’exaltation si grande qu’il peut accepter de mourir pour une cause qu’il n’a pas eu le temps d’étudier. » Et aussi : « Les grands garçons des classes terminales étaient presque tous engagés dans des luttes sociales » .
En 40, les premiers résistants, ceux qui ont répondu a l’Appel dès le 18 juin, étaient souvent des jeunes de 15 ou 16 ans, plus déterminés que leurs parents qui acceptaient l’idée de la défaite et l’occupation. Et beaucoup d'entre eux , des chrétiens qui militaient dans les JEC, des communistes, dans les Jeunesses Communistes ont été déportés dans les camps ou tués sous les balles des peloton d’exécution.
Par contre, de l' autre côté, il y avait ceux qui, au même âge, s'engageaient dans les Waffen SS ou suivaient Doriot et le Parti Populaire Français et acceptaient la collaboration..
Quelles étaient les centres d’intérêt, les sujets de conversation des jeunes de cette époque? On sait que la philosophie, la poésie, les arts, le cinéma, et la politique ont joué un rôle important dans le développement des enfants pauvres qui avaient la chance d’entrer au lycée . Edgar Morin dit avoir découvert la politique en 5 ème, à 13 ans!.
Boris Cyrulnik affirme: « Nous nous engagions dans des discussions très au-dessus de nos moyens. Ce que je viens d’écrire est faux: nous avions les moyens. »
Et il raconte qu’ils trainaient les rues en évoquant Picasso, Eluard, il parle d’un ami, qui, en sixième, démontrait que le progrès scientifique n’avait pas que des bénéfices et il cite la lettre écrite par un autre: « Soyons fort et courageux dans le monde qui s’ ouvre à nous. Il faut que nous réussissions à créer ce dont le monde rêve, l’égalité entre les hommes, la liberté de conscience, la suppression des classes. » Il s’appelait Charles Law et avait… 13 ans!
Il explique l’influence du communisme après la guerre auprès des jeunes. « Le communisme me paraissait la seule noblesse : l’URSS avait écrasé le nazisme, le communisme parlait d’égalité de lendemains qui chantent , et de paix sur le monde. Pendant ce temps, les Américains faisaient la guerre en Corée, puis au Vietnam où ils lançaient du napalm sur les villages de paysans. Devant un tel choix auriez-vous hésité? »
Je me reconnais dans tout ce qu’a écrit B Cyrulnik. Je n’étais pas juive, j’avais peu souffert de la guerre, j’étais une petite provinciale mais la vie dans mon lycée, l’influence de nos professeurs et de nos amis, étaient en tous points semblable à ce qui est décrit dans ce livre.
Mon adolescence a été faite de culture, de poésie et de musique, de philosophie et de politique, (la vraie, pas cet espèce de conflit permanent entre des hommes qui se haissent et qui ne rêvent que de mise à mort comme à la corrida) !. Le Conseil de la Résistance alliait la droite et la gauche, De Gaulle invitait les communistes à marcher avec lui. Et nous les jeunes nous admirions toutes ces conquêtes qui allaient changer notre vie.
Nous n’avions pas cours le samedi après-midi et au coin de deux rues saumuroises, les pensionnaires nous ayant rejoint, nous refaisions le monde des après-midi entiers. Notre groupe comportait autant de filles que de garçons, Nos conversations étaient d’une haute tenue, le respect envers les filles allait de soi et je n’ai jamais entendu une phrase vulgaire ou sexiste! Nous faisions partie d’un ciné-club, sous l’égide d’un professeur, nous venions de créer une association des « amis de l’Unesco », nous étions ouverts a d’autres pays, d’autres cultures, d’autres civilisations et nous étions persuadés que notre monde, né de la guerre, serait merveilleux! C’est vrai que le communisme nous attirait tous car, issus de familles modestes, nous pensions qu’il élèverait le niveau culturel, intellectuel des « masses populaires » comme on disait, et de plus, amènerait une société plus juste financièrement.
Nous n’avions pas imaginé que le capitalisme et son frère l'ultra libéralisme allaient nous rattraper et nous imposer le monde que nous connaissons où la culture et la réflexion, justement, ne doit surtout pas être l'affaire de tous!