J’ai été heureuse de trouver un texte de Mona Ozouf, historienne, à propos de l’école de Jules Ferry, cette école dont il est de bon ton de réclamer le retour à grands cris. Tout ce qu’elle a écrit est le reflet de ce que je pense.
« Quand les parents et la société ne soutiennent plus l'autorité des maîtres et que les savoirs sont sur internet, invoquer un retour à l'école de Jules Ferry est une chimère anachronique ….. une méconnaissance de l’histoire et une illusion ».
Ce qui est drôle; c’est que J Ferry fut en son temps haI par la droite. On l’accusait d’avoir chassé Dieu des écoles , de dresser des individus et de réaliser un génocide culturel puisque les programmes étaient les mêmes pour tous. Maintenant c’est la droite qui réclame un « retour aux valeurs oubliées de l’école républicaine ».
Ferry avait légiféré pour une France rurale ou famille, école, église imposaient toutes de normes autoritaires. Mes camarades de classe, mes premiers élèves étaient presque tous des enfants de petits cultivateurs. Lorsqu’ils arrivaient à l’école, ils n’avaient entendu que le bonjour de leurs parents ( pas de télé, pas de radio, souvent pas d’électricité). Levés tôt, ils avaient soigné les poules et les lapins, parfois les cochons car c’étaient leur rôle. Ils avaient marché, 4 ou 5 km souvent, dans la forêt et dans des chemins qui longent les champs et les prés. Rien ne les avait énervé, rien ne les avait distraits et quand l’instituteur prenait la parole chacun était attentif et … intéressé. Car l’école seule dispensait la culture, le savoir. Que de fois ai-je entendu des parents me dire « il faut qu’il travaille bien à l’école, si vous saviez comment je regrette de ne pas savoir grand chose. Il ne faut pas hésiter à le punir » Et eux mêmes le corrigeait à chaque manquement!
On se rend bien compte qu’en 30 ans tout a basculé. Une mère d’élève m’a dit en 1980 : « c’est votre faute si elle ne travaille pas comme elle devrait, vous êtes toujours en train de la contraindre » . Il faut dire que, lorsque je disais « dictée » par exemple, cette petite me répondait « j’ai pas envie », n’ouvrait pas son cahier et se couchait sur sa table. Milieu aisé, bourgeois, catholique, cette réflexion d’une mère que j’estimais m’avait complètement déboussolée. Et depuis, çà a largement empiré!
Aujourd’hui les normes scolaires ne sont soutenues ni par les familles, ni par la société, mais sont au contraire l’objet permanent du soupçon et de la contestation. L’ école avait été conçue en songeant au bien commun, avec un souci du collectif qui est très éloigné des "consommateurs d’école" d’aujourd’hui, qui en attendent tous un bénéfice « personnel et particulier ».
Internet est passé par là, tous les savoirs sont à notre disposition immédiatement et sans contrainte , même pas l’obligation de les retenir puisqu’on peut le retrouver quand on veut. L’école de Jules Ferry véhiculait des valeurs d’attention, d’efforts et de patience, des mots qui n’ont plus tellement de sens aujourd’hui. Et je pense qu’il y une incompatibilité radicale entre l’école Jules ferry et les jeunes d’aujourd’hui.
« Intentions malfaisantes de pédagogues, méthodes inadaptées? ». Et reconnaître simplement que le monde a changé, que nos enfants sont des mutants, qu’ils évoluent très vite et que ce que leur propose l’école les intéresse peu! Je me souviens des fins de journées où ma mère nous montrait des images du monde dans le stéréoscope de l’école. Moment magique ou nous découvrions en relief les montagnes, les fleuves, Paris et ses monuments et nos colonies. Chacun croisait les bras dans un silence absolu en attendant que son voisin lui passe le merveilleux appareil …. et il y avait de 45 à 50 élèves dans la classe de 4 à 14 ans! Une de mes petites filles qui fait du soutien scolaire dit que son enfance n’a rien eu de commun avec celle des enfants d’aujourd’hui, qu'elle ne se reconnaît pas du tout en eux …. et elle n’a que 25 ans!
Le torrent d’images, de rumeurs, d’informations qui se déverse sur les jeunes et occupe beaucoup plus d’heures que celles passées en classe, devrait être canalisé, orienté, expliqué et ramené à sa juste importance. Bref il faudrait inventer une culture des nouvelles technologies et sur l'information, une réflexion sur leur utilité et leur mode d’emploi, faire un effort d’éducation.
Proposer les recettes du passé et invoquer l’âge d’or de l’école républicaine, quand on a déboulonné la figure du maître et du professeur, est une stupidité qui ne mènerait nulle part!