Poilus, grande guerre! Voilà des mots qui n'évoquent plus grand chose, il ne reste plus de Poilus et les personnes nées en 1914 auront 100 ans dans quelques mois! Il ne reste qu'un recueillement rituel sans résonance au fond des coeurs.
Pour les enfants du tout petit village de mon enfance, le 11 novembre, était un jour férié. Mais nous étions dans la classe à… l’heure habituelle, endimanchés, et... les bras chargés de fleurs.
La municipalité organisait une cérémonie au Monument aux Morts avec la participation des enfants de l'école, une classe unique d'une cinquantaine d'élèves de 4 à 14 ans dont ma mère avait la charge.
Nous arrivions donc, après avoir dépouillé les jardins de leur dernière parure... et ramassé dans les bois et les fossés branches et graminées, tout ce qui nous paraissait digne de figurer dans nos bouquets.
Chacun déversait sa moisson sur une grande table, dans un brouhaha inhabituel en ce lieu puis, par souci d’égalité, chacun choisissait sa part. Après, le "travail" se faisait individuellement mais les grands aidaient les petits. Les garçons n’étaient pas moins habiles que les filles et certains étaient de véritables artistes. Enfin, les élèves de « Fin d’Etudes » découpaient avec art des papiers crépons pour embellir les présentations. Ma mère avait un mot, un geste pour chacun: elle nous apprenait l'art floral en y mêlant ses souvenirs de guerre, une guerre qu’elle avait vécu de 8 à 12 ans en aidant de son mieux sa mère. Mon grand père avait été mobilisé le 4 aout 1914, il est rentré à la maison … en juin 1919
Nous partions en rang par deux, chacun tenant son bouquet droit dans une main, silencieux et graves.
Devant le petit cimetière cerné par les bois, le monument aux Morts nous attendait, le Conseil Municipal formant une haie d’un côté, de l’autre, une grande partie du village. Le maire, qui n'était pas un orateur, disait ... quelques mots en « hommage à nos valeureux soldats »
Puis le « clairon », debout devant le monument jouait de son mieux, hélas, il n’arrivait jamais à tenir les notes longues de la sonnerie aux Morts. Dans l'air frais du matin, les sons s'étiraient, de plus en plus faux, mais çà ne faisait sourire personne.
Venait ensuite la longue minute de silence pendant laquelle nous n’osions ni bouger un pied, ni tourner la tête!
Restait un moment important pour nous: la récitation d'un beau texte. D'une seule voix, nous entonnions
" Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie
Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie!" ....etc...
( V Hugo)
A la fin, un vieux conseiller après avoir reniflé en nous écoutant, sortait son mouchoir, s'essuyait les yeux et... se mouchait bruyamment. Et nous retenions nos rires car il pleurait aussi le jour de la fête des prix lorsque nous chantions!
Un par un, nous nous inclinions devant le monument pour déposer nos fleurs et repartions dans un rang un peu désarticulé.
Retour en classe, rangement des tables, balayage... un " au revoir, à demain" et chacun repartait, beaucoup d’entre nous pour un trajet de plusieurs km à pied, par des chemins de terre ou au milieu des bois
J'aime évoquer le souvenir de ces 11 novembre si lointains. Nos grands pères avaient été des combattants et nous avait raconté leurs souffrances, nos parents avaient grandi dans un monde en guerre et nous accomplissions une célébration, un devoir de mémoire et de reconnaissance. Ceux qui nous entouraient répétaient souvent « plus jamais çà, plus jamais de guerre! »...
et, nous , les enfants, étions persuadés que "nos morts" (comme on disait) avaient bâti un monde de paix!
Hélas, 1939 arrivait à grands pas et tout allait recommencer.
Commentaires
Merci Madame, pour ces mots simples et justes qui disent l'essentiel et qui raisonnent en nous...
Vous savez trouver ce qui devrait inciter la réflexion à propos des hommes, du sens de la vie, des valeurs du vivre ensemble, de la dignité, la liberté et la fraternité; même si chacun est un être singulier et unique, infiniment respectable parce qu'humain tout comme "l'autre", forcément différent puisque unique et singulier.
Quel monde construisons-nous pour demain, dans quelle société où, si nous n'y prenons garde, les étrangers, mais aussi, les handicapés, les vieux... n'auront plus de place?
Réveillons-nous! résistons! il en faut des voix comme la votre! Moi aussi, j'ai préparé des gerbes de fleurs de nos jardins pour la cérémonie du 11 novembre, dans une petite école de village... il y a 50 ans, je suis émue à l'évocation de ces souvenirs partagés, encore merci!
Toutes ces cérémonies et ces commémorations doivent continuer encore et encore à exister. Tant qu'elles existeront, la mémoire de l'Horrible et de l'Indicible se perpétuera et empêchera, je l'espère de tout coeur, le recommencement en France de l'abominable. L'Homme est un meurtrier pour lui-même, quand finira t-il par le comprendre ? Il a en lui la méchanceté et l'avidité. Il se targue de posséder l'intelligence pour se démarquer du monde animal et végétal. Quel égo surdimensionné ! Partout dans le monde, ce n'est que désolation, population meurtrie, pollution irréversible, guerres à répétition. L'Homme est bien trop intelligent pour apprendre la leçon.
Merci madame pour vos billets si pertinents.
Bonne journée.