Mise en garde de la philosophe américaine Martha Nussbaum.
Partout dans le monde, au nom du progrès économique, les pays renoncent à cultiver chez les jeunes des compétences indispensables à la survie des démocraties.
De profonds bouleversements sont en train de se produire dans le contenu de l'éducation dans les sociétés démocratiques . Avides de réussite économique, les pays et leurs systèmes éducatifs renoncent à des compétences pourtant indispensables à la survie des démocraties. Si cette tendance persiste, des pays du monde entier produiront bientôt des générations de machines utiles, dociles et techniquement qualifiées, mais non des citoyens accomplis, capables de réfléchir par eux-mêmes, de remettre en cause la tradition et de comprendre le sens des souffrances et des réalisations d’autrui.
Nous semblons oublier les facultés de pensée et d’imagination qui font de nous des humains et non des machines simplement utilitaires.
La démocratie est alors vouée à l’échec, car elle repose précisément sur le respect et l’attention portés à autrui, sentiments qui supposent d’envisager les autres comme des êtres humains et non comme de simples objets.
"Si le savoir n’est pas une garantie de bonne conduite, l’ignorance est presque à coup sûr une garantie de mauvaise conduite."
Pour être un citoyen responsable il faut être capable d’évaluer les preuves historiques, de manier les principes économiques et d’exercer son esprit critique, de comparer différentes conceptions de la justice sociale, de parler au moins une langue étrangère, de mesurer la complexité des grandes religions du monde.
Disposer d’une série de faits sans être capable de les juger, c’est à peine mieux que l’ignorance.
Cultiver l’empathie est au cœur des meilleures conceptions modernes de l’éducation démocratique. Cela doit se faire au sein de la famille, dans les écoles, et même les universités, en accordant dans les programmes une place de choix aux humanités et aux arts, qui améliorent la capacité à voir le monde à travers les yeux de quelqu’un d’autre – capacité que les enfants développent par le biais de jeux d’imagination.
L’éducation pour la croissance économique suppose des compétences de base – savoir lire, écrire et compter. Elle suppose aussi que certains aient des compétences plus poussées en informatique et en technologie. L’égalité d’accès n’est pas d’une importance cruciale : un pays peut fort bien se développer alors même que sa population rurale pauvre reste illettrée et privée de ressources si une élite technologique et commerciale compétentes développe.
La liberté de pensée de l’étudiant est dangereuse car le but est de former des travailleurs dociles techniquement efficaces et chargés d’exécuter les plans des élites visant à attirer les investissements étrangers et le développement technologique. Dans l’enseignement primaire, les exigences du marché mondial ont poussé tous les pays à mettre l’accent sur les compétences scientifiques et techniques, tandis que les humanités et les arts étaient sacrifiés. Le contenu des programmes a rayé tout ce qui stimulait l’imagination et l’esprit critique . Cette évolution des contenus s’est accompagnée d’une évolution de la pédagogie encore plus pernicieuse, qui évince des modes d’enseignement favorisant le questionnement et la responsabilité individuelle.
Aujourd’hui, nous continuons d’affirmer que nous sommes en démocratie, que nous tenons à la démocratie, et à la liberté de parole, au respect de la différence, et à la compréhension des autres.
Mais ces valeurs, nous ne les transmettrons pas à la génération suivante si elle subit cette nouvelle éducation, et nous ne réfléchissons pas qu'elles sont indispensables à leur survie."
J'adhère sans une réserve à cette étude et repense à la citation de N. Sarkosy:
" L'étude de la Princesse de Clèves est inutile à une future caissière de supermarché"